Je ne savais pas qui était Jorge Semprun avant de commencer ce livre. Et c’est peut-être une bonne chose : on lit ce témoignage oppressant sans préjugés.
On ne peut qu’avoir du respect pour des personnes comme Semprun, pour ce qu’elles ont vécu en tant que prisonniers des SS dans les camps d’extermination. Dans le cas de Semprun, il s’agit de sa captivité à Buchenwald. Mais ce livre ne porte pas tant sur cet épisode (même si des récits bouleversants y sont rapportés), que sur la vie après les camps. Qu’est-ce que cela fait de vous, en tant qu’être humain ? (Le lien avec les ouvrages de Primo Levi est d’ailleurs établi d’emblée.) Vit-on encore vraiment, après cela ?
À la page 150, on lit :
« Le monde s’est effacé autour de moi dans une sorte de vertige. Les maisons, la foule, Paris, le printemps, les drapeaux, les chants, les cris scandés : tout s’est effacé. J’ai compris d’où venait la tristesse physique qui m’accablait, malgré l’impression trompeuse d’être là, vivant, sur la place de la Nation, ce 1er mai. C’est précisément que je n’étais pas vraiment sûr d’être là, d’être vraiment revenu. »
La fumée du crématoire, la neige… ces images continuent de hanter sans cesse l’auteur.
La question se pose alors : comment vivre avec ces souvenirs ? Comment les raconter à quelqu’un d’autre ? Est-ce vraiment compréhensible pour autrui ? Que signifie écrire à ce sujet ? Cela constitue en fait la question centrale du roman.
« Je ne possède rien d’autre que ma mort, mon expérience de la mort, pour dire ma vie, l’exprimer, la porter en avant. Il faut que je fabrique la vie avec toute cette mort. Et la meilleure façon d’y parvenir, c’est l’écriture. Or celle-ci me ramène à la mort, m’y enferme, m’y asphyxie. Voilà où j’en suis : je ne puis vivre qu’en assumant cette mort par l’écriture, mais l’écriture m’interdit littéralement de vivre » (p. 174).
Mais il y a de l’espoir. « L’écriture ou la mort » (comme il l’écrivait au départ) devient finalement « L’écriture ou la vie »…
Ce livre contient des passages d’une grande force. Ce qui suscite en revanche un effet agaçant chez cet auteur, ce sont les nombreuses répétitions. Comme dans une litanie, Semprun répète maintes fois la même histoire, parfois même les mêmes mots à l’identique. On se demande alors si cela est voulu (comme une sorte d’effet hypnotique) ou si c’est simplement de la maladresse…
J’ai toutefois beaucoup d’admiration pour cet écrivain. Quand on lit combien il lui a fallu d’efforts pour parvenir à écrire tout cela, oui, c’est bien là un morceau de littérature d’une grande puissance.
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