Ce grand classique de Maupassant est paru en 1880. En 1856 paraissait Madame Bovary de Flaubert… On a sans doute déjà beaucoup écrit sur les différences et les ressemblances entre ces deux romans, mais je vais tout de même me prêter à l’exercice.
Dans ces deux grandes œuvres, la femme occupe une place centrale, cela ne fait aucun doute. Le mariage et l’Église y sont critiqués – dans Madame Bovary, cela se passe plutôt dans un milieu petit-bourgeois, tandis que chez Maupassant, c’est dans l’aristocratie. Le décor est également très similaire : nous nous trouvons dans la campagne normande, avec la ville de Rouen en point central – chez Maupassant, cela se situe plutôt sur la côte. Dans les deux livres, la nature joue également un rôle important. C’est encore une caractéristique du romantisme : les sentiments des personnages trouvent un écho dans la nature (et inversement).
Plusieurs beaux passages de Une vie l’illustrent. Jeanne perçoit la nature d’une tout autre manière lorsque son cœur est brisé :
« Étaient-ce la même campagne, la même herbe, les mêmes arbres qu’au mois de mai ? Qu’étaient donc devenus la gaieté ensoleillée des feuilles, et la poésie verte du gazon (…) » (p. 109)
« …et le murmure des feuilles tombées et sèches que la brise poussait, remuait, amoncelait par endroits, semblait un douloureux soupir d’agonie. » (p. 110)
« Alors l’humide et dur paysage qui l’entourait, avec la chute lugubre des feuilles, et les nuages gris entraînés par le vent, l’enveloppa d’une telle épaisseur de désolation qu’elle rentra pour ne point sangloter. » (p. 111)
On trouve également ce type de descriptions chez Flaubert – quoique de manière moins directe et plus suggestive.
Il existe aussi des différences.
Tout d’abord, bien sûr, la manière dont l’histoire se termine. Chez Flaubert, le destin d’Emma Bovary est tragique, mais on ne peut pas dire que Jeanne soit heureuse à la fin de Une vie… Elle sombre plutôt dans une sorte de vide – que nous appellerions aujourd’hui une dépression. La chute est peut-être moins dramatique que chez Flaubert, mais elle s’exprime sous une forme chronique et subtile de déclin. Pour Jeanne, la vie n’est plus vraiment une « vie ». Le titre lui-même est révélateur. Chez Flaubert, il s’agit encore du nom du personnage principal ; chez Maupassant, c’est une vie. Une vie simple, banale.
À la page 114 de Une vie, on peut lire :
« Et la journée s’écoula comme celle de la veille, froide, au lieu d’être humide. Et les autres jours de la semaine ressemblèrent à ces deux-là ; et toutes les semaines du mois ressemblèrent à la première. »
On ne pourrait mieux résumer l’atmosphère du roman…
Ce qui me frappe aussi, c’est la figure du mari. Chez Flaubert, même si Charles est un homme faible, on ne peut pas dire que ce soit une mauvaise personne. Ce qui n’est pas le cas de Julien : c’est tout simplement un salaud.
Dans les deux romans, la femme est « droguée » par une littérature hyper-romantique (dans les deux, on cite les œuvres de Walter Scott), qui lui présente un monde idéal complètement déconnecté de la réalité.
Ainsi, Jeanne est en extase lorsqu’elle apprend qu’elle est fiancée à Julien, croyant que son grand rêve va se réaliser, jusqu’à ce qu’elle soit confrontée à la dure réalité de la vie. Chez Maupassant, les mœurs du milieu aristocratique sont d’ailleurs fortement critiquées.
Une vie peut déjà être considérée comme un vrai roman « moderne », même si une part de romantisme y subsiste. Maupassant se montre parfois très explicite dans ses descriptions, il ne mâche pas ses mots.
Lire un tel classique reste un réel plaisir. Un tel roman est d’une qualité indéniable. Écrit il y a si longtemps, et pourtant toujours aussi actuel – et souvent même très moderne...
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