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J'emporterai le feu - Leïla Slimani




 Dans le troisième volet de sa trilogie, "Le pays des autres", Slimani raconte l’histoire des petits-enfants d’Amine et Mathilde, la troisième génération de la famille Belhaj, qui possède toujours une grande plantation près de Meknès, au Maroc. L’histoire se déroule entre les années 1980 et 2000.  Aïcha est une gynécologue renommée et est mariée à Mehdi, qui travaille dans le secteur financier. Ils ont deux filles : Mia et Inès. La famille vit à un niveau de vie supérieur à la moyenne de la population marocaine et réside à Rabat. Selim, le fils d’Amine, est devenu un photographe artistique reconnu et vit à New York. Mia et Inès étudient dans un lycée occidental et poursuivent ensuite leurs études à Paris. Leur père, Mehdi, tombe en disgrâce à la suite de bouleversements politiques et sombre dans une profonde dépression. On observe comment le Maroc aspire à la modernisation selon les normes occidentales. Pourtant, la pauvreté et l’injustice restent omniprésentes dans le pays. Après l’attentat contre les tours du World Trade Center, la politique se radicalise, ce qui entraîne des conséquences notables, notamment pour la famille de Mehdi, qui adopte une attitude “européenne”. Les personnages de cette histoire sont constamment tiraillés entre un désir de “l’occidentalisation” et un attachement aux traditions et à la culture religieuse de leur pays d’origine. Ils se questionnent souvent sur leur véritable identité. Mehdi, en particulier, aspire à une liberté qu’il pense pouvoir trouver dans la société occidentale. Ainsi, on lit à la page 197 – Mehdi se trouve à Paris : 

"Il se demanda ce que ce serait de vivre dans une ville comme celle-ci. De prendre le métro pour aller au travail, de marcher dans des lieux où personne ne vous appelle "mon frère" ou "ma soeur", de boire du vin en terrasse après être sorti du théâtre, d'embrasser sa femme sous un porche ou à l'arrière d'un taxi, de s'arrêter en rentrant chez soi dans une librairie. (...) Il avait envie de tout acheter, des romanset des essais, des livres d'histoire et même des recueils de poésie. Il s'imaginait une vie où il aurait le temps de lire tous ces livres, une vie que n'aurait pas d'autre but que de pénétrer l'âme des autres et où les voyages seraient immobiles. C'était ça le problème, se dit-il, cette impossibilité à choisir une existence, à s'y tenir, ce désir persistant d'une autre vie que la sienne." 

La littérature occidentale comme sagesse de vie. Mais tout ce avec quoi Mehdi et ses enfants entrent en contact n’a pas forcément une influence positive sur leur existence. Ainsi, Mia et Inès consomment souvent de la drogue et boivent beaucoup. Reste à savoir si leur vie prendra une bonne direction par la suite.  Les femmes jouent un rôle central dans cette histoire. On remarque clairement comment elles prennent progressivement le relais des hommes. Elles occupent des postes prestigieux, assument davantage de responsabilités et possèdent une grande autorité morale. Pourtant, le récit reste empreint d’amertume. Comme en témoigne Mathilde à la page 329 :

"Pour une femme, vieillir était la meilleure des vengeances car on se faisait enfin respecter. Les gens vous embrassaient l'épaule et vous bénissaient. Une fois les seins taris, le sexe cousu, le visage raviné par les rides et les soucis, on acceptait enfin de vous prendre au sérieux. Au crépuscule de votre vie, on finissait par reconnaître que oui, vous aviez beaucoup donné, qu'il en avait fallu de l'endurance et de la tendresse pour que des enfants grandissent et qu'ils aient eux-mêmes des enfants. L'âge lui conféra le pouvoir dont elle avait toujours manqué, la respectabilité à laquelle elle avait aspiré." 

Slimani écrit ici une histoire profondément émouvante. Ce qui frappe, c’est son ton doux et bienveillant. On s’attache complètement aux personnages. Elle raconte aussi, de manière évidente, une part de sa propre histoire.  

Toute cette trilogie est un véritable bijou littéraire. Ce serait magnifique d’en voir une adaptation cinématographique ! Je peux aisément l’imaginer en film, avec une esthétique visuelle superbe…

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