"Imaginez des acteurs qui ne redeviendraient jamais eux-mêmes. Ils joueraient éternellement leur rôle. Le rideau tomberait, les applaudissements ne les réveilleraient pas. La salle vide, la rampe éteinte, la nuit tombée, ils ne quitteraient pas les planches. On pourrait bien leur hurler que l'on a compris, que leurs répliques sont connues, que nous savons l'action par cœur, ils continueraient obstinément à jouer, errant et vociférant sur la scène. On les dirait envoûtés par eux-mêmes, pris à leur propre jeu, le cœur percé de leurs propres flèches. Leur ronde serait à la fois belle et terrible, pathétique et absurde, et l'on ne saurait plus s'il vaut mieux rire ou pleurer."(p. 169) Tout comme dans "L'ordre du jour", Éric Vuillard se montre ici particulièrement dur et sarcastique envers les puissants et les gouvernants. Le sujet abordé est la guerre cruelle et interminable menée par la France en Indochine. Les intérêts politiques et financiers qui s’y mêlent ne sont malheureusement pas nouveaux : il suffit de regarder l’actualité contemporaine. Ce récit se lit comme une dénonciation incisive de l’avidité de pouvoir et des profits des politiciens, des banques, des entreprises, et bien d’autres encore. C’est un livre confrontant. Parfois, il est difficile de suivre avec toutes ces références de noms et de faits. Heureusement, il y a toujours Google pour éclaircir certains points.
Avec ce roman, Lemaitre ouvre une nouvelle trilogie qu’il appelle "Les années glorieuses". Alors que sa trilogie précédente, "Les enfants du désastre", se déroulait dans l’entre-deux-guerres, cette nouvelle série se situe dans la période d’après-guerre. Une fois de plus, nous avons droit à une chronique familiale dense. Ce qui est surprenant, c’est que Lemaitre relie magistralement et subtilement cette nouvelle série à sa trilogie précédente. Au centre du récit se trouve la guerre d’Indochine et, surtout, le rôle de la politique française dans ce conflit. Guerre, soif de sang, et oui, aussi des meurtres, mais également de l’amour : voilà les ingrédients de cette histoire, une fois encore écrite avec beauté et intensité. Cela reste bien sûr très narratif dans l’ensemble. Ce qui manque peut-être, c’est une touche de poésie, de fantaisie ou un soupçon de philosophie.
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